La France est-elle en train de mourir ?

Alors que depuis la fin de l'année 2003 s'est installé un grand débat sur les dérives de la puissance économique française. Selon les critères du Forum économique mondial se déroulant chaque année à Davos en Suisse, la France est le pays occidental qui souffre le plus d'archaïsmes liés au poids de l'Etat, à son syndicalisme et à son incapacité à organiser un dialogue social responsable.

Constat édifiant, la France prend la 78ème place mondiale pour le climat social et le poids de son administration ; la 53ème place pour la R&D (recherche et développement) ; la 47ème place pour l'investissement des entreprises et la 44ème place pour le chômage.

Comparatif synthétique avec les principaux pays de l'OCDE en terme d'écarts significatifs de performance :

Les indicateurs de performances de la France

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1) Les aspects négatifs

Si la France ne consacre que 1,1% de son PIB à l'enseignement universitaire, le nombre de ses diplômes du supérieur est l'un des plus bas de l'OCDE : seulement 12% de la population a un niveau d'éducation élevé (minimum bac+5) :
Etats-Unis 28% ;
R.-Uni 18% ; Canada 20% ; Corée Sud 17% ; Japon 19% ;
Les recettes totales de l'administration française sont de 19,5 points supérieures à celle du Japon, dont la population est une fois et demi supérieure (en % du PIB base 2002) :
France 50,9% ; Etats-Unis 32,2% ; Union européenne 45,7% ; Japon 31,4% ; OCDE 37,7% ;
Le taux de dépenses publiques de la France est l'un des plus importants des pays de l'OCDE, supérieur de 7 points à la moyenne européenne : 54,0% en 2002 (en % du PIB) :
Etats-Unis 35,6% ; Union Européenne 47,7% ; Japon 38,6% ; Allemagne 48,6% ; R.-Uni 40,9% ;
La France devrait compter 10% de chômeurs cette année. Depuis le retournement de la conjoncture, le nombre de demandeurs d'emploi a fortement augmenté : 9,40% en juin 2003 (en % de la population active) :
Pays-Bas 4,20% ; Etats-Unis 6,20% ; R.-Uni 4,90% ; Union Européenne 8,10% ;
Si la productivité du travail dans les entreprises françaises est encore relativement compétitive, elle enregistre toutefois une baisse constante depuis le passage des 35 heures en ne progressant au total que de 17% depuis 1989, contre 22% en Allemagne et 25% aux Etats-Unis.

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2) Les aspects positifs

Si l'économie française enregistre et/ou repose sur un certain nombre de faiblesses structurelles, elle dispose néanmoins de nombreux atouts qu'il ne faudrait pas voir se réduire ou se dilapider dans les prochaines années.

- 1ère destination touristique du monde avec 1 touriste sur 10 passant ses vacances en France, soit 76,5 millions de visiteurs en 2001 :
Espagne ....... 49,5
Etats-Unis ..... 45,5
Italie ............ 39
Chine ........... 33

- 2ème réseau diplomatique du monde avec 169 ambassades ou représentations diplomatiques auprès des organismes internationaux (ainsi que 166 missions économiques à l'étranger) :
Etats-Unis ........ 177
Royaume-Uni ... 160

- 2ème puissance agricole mondiale avec 32,7 milliards de dollars de vente à l'export, favorisant ainsi la seconde source d'excédent commercial après le matériel de transport (aéronautique) en base 2001 :
Etats-Unis ..... 54,6
Pays-Bas ...... 32,4
Allemagne .... 25,6

- 2ème marchand d'armes de la planète, ex æquo avec le Royaume-Uni, avec 2,4 milliards d'armes livrées en 2000 (pour 130.900 salariés dans l'industrie de l'armement) :
Etats-Unis .......... 14,2
Royaume-Uni ..... 02,4

- 4ème exportateur mondial en excellant dans l'agroalimentaire, le matériel de transport, les services de banque et d'assurance et le luxe en prenant 5,2% de part en marché mondial en 2001 :
Etats-Unis ......... 11,9%
Allemagne ........ 09,3%
Japon ............... 06,6%

- 4ème investisseur à l'étranger, dont 50% des investissements effectués en Europe, moins d'1/3 aux Etats-Unis et beaucoup moins en Asie pour un total de 19 milliards de dollars réalisés durant les 9 premiers mois de 2002 :
Allemagne .......... 40
Etats-Unis ........... 22
Royaume-Uni ...... 20,5

- 5ème puissance économique mondiale au coude à coude avec le Royaume-Uni avec un PIB estimé à 1.310 milliards de dollars (base 2001) :
Et.-Unis ............. 10.140
Allemagne ......... 01.845
Japon ................ 04.140
Royaume-Uni ..... 01.425

- 5ème bourse mondiale, même si la Bourse de Paris pèse 10 fois moins que Wall street avec "seulement" 892 milliards d'euros en capitalisation boursière (base fin janvier 2003) :
New York Stock Exchange .... 9.015
Tokyo ................................. 2.069
Londres .............................. 1.785
Nasdaq ............................... 1.994

- 6ème budget militaire du monde avec 25,3 milliards de dollars en 2002 :
Etats-Unis .......... 310
Royaume-Uni ..... 034
Russie ............... 044
Arabie s. ........... 027,2
Japon ................ 040,4

Tous ces points positifs importants ne doivent pas être oubliés. La France contient des talents qui permettent de limiter les erreurs. Le meilleur exemple est qu'elle est l'un des pays qui détient le nombres d'heures de travail le plus faible au monde. Et pourtant, cette faiblesse de temps de travail n'empeche pas la France d'être une puissance exportatrice importante de l'Europe et même du Monde ( voir comparatif en dessous ). De plus, cette diminution de temps de travail peut favoriser à moyen terme le secteur des loisirs, domaine où la France a une place priviliègée.

- Heures de travail par an (H) et nombre de jours de congés (C) dans certaines grandes villes du monde :

  H C
Hongkong 2.398 8
Singapour 2.056 14
Los Angeles 2.022 11
Vienne 1.901 26
Tokyo 1864 16
New York 1.843 10
Rome 1.810 23
Londres 1.787 21
Sydney 1.757 21
Francfort 1.682 30
Paris 1.561 26

Quel France dans le Monde du 21ème siècle ?

Israël est l'Etat qui, par rapport à sa puissance industrielle exerce l'influence la plus grande dans le monde. A l'inverse l'Italie, qui appartient au G7, est l'Etat dont l'influence, par rapport à sa puissance industrielle, est la plus faible.

Il est important d'établir une distinction entre influence et rayonnement. Le rayonnement est le produit du prestige historique et culturel d'un Etat. L'influence s'exerce par le truchement de la puissance politique et économique d'un Etat, l'influence culturelle étant la conséquence de cette puissance. Israël influence souvent de façon décisive mais, en tant qu'Etat, ne rayonne pas. L'Allemagne influence mais ne rayonne plus depuis deux générations. La France, par exemple en Amérique Latine, rayonne mais n'influence que modestement. L'Autriche a cessé à la fois de rayonner et d'influencer.

Pour la France, qui rayonne comme grande puissance au plan politique, militaire et culturel jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, le problème est aujourd'hui d'éviter de glisser vers le statut de l'Italie. Grâce à une expansion économique vigoureuse, durant les années qui séparent de l'après-guerre de la première crise pétrolière (1973), à une remonté démographique, à la possession de l'arme nucléaire, grâce à un siège au Conseil de Sécurité, au maintien d'une zone d'influence directe en Afrique et au prestige du général de Gaulle, la France joue un rôle et occupe une place de choix, bien que graduellement déclinante, depuis un quart de siècle.

La rupture essentielle marquée par l'après-Guerre froide - 1991 est une des trois dates clefs du siècle avec 1914 et 1945 - se traduit par un recul de la position qu'occupait la France. Des facteurs indépendants de notre volonté ont pesé dans le sens d'une perte relative d'influence.
La fin de la bipolarité accentue de façon décisive la suprématie des Etats-Unis déjà apparente à l'époque de M. Gorbatchev. La Guerre froide nous était au total favorable. Ce n'est pas le gaullisme qui est caduc, c'est le monde qui fut celui du général de Gaulle.

Le recul en Afrique des positions françaises - dont l'analyse sort de notre propos - ajoute un élément à notre repli (Rwanda, Burundi, Congo) mais on voit apparaître un léger retour de la France vers l'Afrique avec notamment ses actions en Côte d'Ivoire.

L'Europe qui est notre avenir stratégique est, pour l'instant et pour une période indéterminée, en devenir. Le facteur temps et la multiplication des partenaires sont chargés d'incertitudes et constituent une série de paramètres que nous ne maîtrisons pas. L'Europe que nous souhaitons est-elle à l'image de celle qu'espèrent nos principaux partenaires ? Par ailleurs, n'y-t-il pas une contradiction entre nos buts proclamés qui sont dans le fil du gaullisme et nos conduites qui depuis quelques années les contrarient ?

Malgré des réalisations industrielles et technologiques importantes, notre situation actuelle est modeste dans la mesure où nous subissons à la fois les effets de notre relative stagnation et, surtout, l'impact considérable de la concurrence américaine dans nombre de domaines. Nous subissons aussi la montée irrésistible de la langue anglaise et de ses moyens de diffusion ; le piétinement relatif de la construction d'une Europe dotée d'un projet autonome ; les limites de notre capacité d'intervention en ex-Yougoslavie ; les problèmes au Moyen-Orient ; le vide de l'UEO, etc.

Par voie de conséquence, nous sommes à la fois dans une phase de baisse relative de statut et en posture défensive tandis que notre situation économique et sociale est peu dynamique ce qui amenuise, voire décrédibilise, nos propositions.

La francophonie est un facteur d'identité et doit être renforcée là où elle existe. Ailleurs, le message français, quand il y en a un, devrait être véhiculé selon un principe d'efficacité dans les langues comprises par le public qu'on veut atteindre.
Pour envisager une politique d'influence, il nous faut tirer profit de la situation de paix relative - puisque nous ne sommes confrontés à aucune menace sérieuse mais à des nuisances - afin d'établir un bilan de nos carences et de nos atouts, de réformer et de dynamiser ce qui peut l'être et de préparer l'avenir.

Faut-il insister sur le fait que de façon ultime nous pèserons en très grande partie ce que pèsera notre puissance technico-économique ?

A cet égard, l'impulsion essentielle devrait venir de la capacité à mener une réforme administrative destinée à redonner dynamisme à un appareil étatique lourd et paralysant d'une part.

La politique d'influence des Etats-Unis est diffusée par un ensemble de vecteurs :

· L'idéologie : la démocratie, l'économie de marché et les droits de l'homme, ceux-ci étant sélectifs et constituant une arme politique.
· La langue anglaise, devenue vernaculaire à l'échelle mondiale, bénéficie du capital de l'Empire britannique (ex-colonies et dominions de la couronne). Cette langue est véhiculée - avec ses messages - sur Internet, CNN, des radios (Board of international broadcasting, Radio Free Europe, Voice of America), le cinéma, les séries télévisuelles, les vidéos, etc.
· L'influence des Etats-Unis s'exerce directement ou indirectement sur les institutions internationales comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (25 % du budget de ces organismes est payé par les Etats-Unis selon USIA) mais aussi la FAO, l'UNESCO et l'ONU, particulièrement depuis l'effondrement de l'URSS.
· Les réseaux, de plusieurs types, jouent un rôle essentiel. Il existe des réseaux religieux (par exemple les églises protestantes en Amérique latine), des réseaux politiques (par exemple avec des Etats comme Israël, la Turquie, l'Arabie Saoudite ou le Japon), des réseaux interpersonnels avec tous ceux qui sont allés étudier ou travailler aux Etats-Unis, ou chez eux avec des Etats-Unis ou des firmes américaines. Des fichiers existent, par pays ou par profession et les contacts sont maintenus de façons diverses. Ce que la France ne fait pas.

Pour mesurer régulièrement leur image - reflet au moins partiel de leur influence - les Etats-Unis disposent d'une agence : US Information Agency. Celle-ci publie une série de sondages effectués, à la demande de l'USIA, par des organismes de sondages locaux sur des questions intéressant les Etats-Unis.

Les points forts des Etats-Unis dans la stratégie d'influence exercée de façon ciblée sont :
· La formation des élites économiques, politiques et militaires des pays qui leur sont favorables. Quand cela est possible, un système scolaire similaire à celui des Etats-Unis y est développé, d'où l'aisance avec laquelle un étudiant de ces pays s'adapte au système universitaire américain. C'est le cas, par exemple, au Brésil, pays qui avait naguère un cursus à la française.
· La pêche aux cerveaux permet d'attirer chez soi des éléments de valeur, déjà formés, en leur donnant les moyens de travailler. (La liste serait longue des chercheurs étrangers qui ont été de passage en France et que nous avons perdus faute d'avoir su les retenir. Depuis quelques années, nous perdons même nos propres diplômés, tandis que notre immigration est presque entièrement composée de gens peu ou pas qualifiés).
· Des ambassades axées non seulement sur le travail politique - qui consiste aussi à maintenir des contacts avec le réseau des amis des Etats-Unis au sens le plus large - mais sur des services commerciaux actifs, animés non par des fonctionnaires de formation n'ayant jamais fait fructifier de capital mais par des hommes d'affaires recrutés à cet effet pour une période donnée. La conquête d'un marché se fait en écoutant l'autre et en répondant d'abord à ses besoins, non en l'assurant qu'on a ce qui lui faut puisqu'on en est le fabricant, ce qui reste une méthode de vente fréquente chez les industriels français.

La Grande-Bretagne, quant à elle, axe sa politique d'influence sur :
· Une collaboration avec les Etats-Unis chaque fois que c'est dans l'intérêt de la langue anglaise, par exemple en matière de radio.
· Même durant les années où son économie était médiocre, le maintien d'un très haut niveau de qualité de ses médias : BBC, World Program, télévision éducative, journaux et hebdomadaires, par exemple le Financial Times et The Economist, dont la France n'a pas l'équivalent.
· Un réseau très sélectif de soutien sélectionné et cultivé par les ambassades et invités dans le cadre de négociations utiles à la Grande-Bretagne dans des châteaux et autres lieux historiques dont l'Etat a la disposition.

Quant à l'Allemagne, son influence - au profil discret compte tenu du passif de la Seconde Guerre mondiale dont désormais 55 années nous séparent - s'exerce d'abord économiquement et commercialement à travers des politiques dynamiques menées par les firmes allemandes et non par l'Etat ou les entreprises d'Etat.

Au sommet, on ne peut que constater une crise des élites en France. Contrairement à ce qui s'entend communément aujourd'hui, le problème n'est pas l'existence de l'Ecole Nationale d'Administration ou de Polytechnique mais la pérennité de la position acquise. Guère de place pour ceux qui sont issus d'autres filières et notamment du terrain et qui pourraient irriguer par des méthodes ou une pensée originale à la fois l'Etat et les entreprises nationalisées.

Pourtant, nos atouts existent. Nous sommes très performants dans ce qu'on pourrait nommer les "gros systèmes". Qu'il s'agisse d'Airbus, d'Ariane, d'EDF-GDF, de l'eau, des barrages, des travaux publics, de ports, d'aéroport, de Train à Grande Vitesse, de métro, de Telecom, etc.
Les choix politiques actuels seront essentielles pour l'avenir de la puissance française dans le monde. L'effondrement de son influence puis à terme de son rayonnement pourrait avoir des conséquences importantes tant au niveau national qu'au niveau européen et mondial car la voix de la France c'est avant tout les intérets des français. Mais c'est connu, impossible n'est pas français ( un peu d'arrogance bien française ! )…

Sources générales d'informations : Alternatives Economiques - Challenges - L'Entreprise - L'Expansion - Le Point - Diploweb

Demesmaeker Tony