Le nucléaire face au réchauffement de la planète

Aujourd'hui, le réchauffement est largement admis et les habitants de la Terre vont devoir y faire face. Le dernier rapport du groupement intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), remis en novembre, révise ses propres prévisions à la hausse et envisage une augmentation moyenne des températures comprise entre 1,5 et 4,5 °C pour la fin du siècle.L'activité humaine a évidemment sa part de responsabilité dans le réchauffement du climat. En premier lieu, celle des pays riches où le développement industriel a commencé au milieu du xixe siècle. On estime que les rejets de CO2 dont elle est responsable ont augmenté de 70 % et ceux de méthane de 145 % depuis 150 ans.

 

La situation

Le réchauffement de la planète aura un impact sur les sols, l'agriculture, l'enneigement, la mer, les écosystèmes forestiers, et la santé des hommes. On connaît toutes les activités qui peuvent être liées à ces domaines. L'effet de serre aura par conséquent un impact social important. Comment limiter cet impact ?

Réunis à Kyoto, en 1997, 38 pays industrialisés ont donc signé un protocole par lequel ils s'engagent à réduire globalement leur rejet de CO2 de 5,2 % en 2012 par rapport à 1990, choisie comme année de référence. Par région, l'objectif représente 8 % de réduction pour l'Union européenne, 7 % pour les Etats-Unis, 6 % pour le Japon et le Canada, 0 % enfin pour la Russie, en raison de l'effondrement de son économie après 1990. L'effort n'est pas dérisoire: si la tendance des dix dernières années se poursuivait, ces pays émettraient 20 % de CO2 en plus et non 5,2 % en moins à l'échéance 2012.
Mais quels moyens mettre en œuvre pour réussir? Adopter le nucléaire à grande échelle, favoriser les énergies renouvelables, donner la priorité aux transports collectifs, tabler sur les économies d'énergies ou planter des forêts?

Le nucléaire, une énergie propre ?

La bataille pour la réduction des rejets de gaz à effet de serre se joue avant tout sur le terrain de l'énergie (environ 80% des émissions), avec comme principaux ennemis le charbon et le pétrole brûlés dans les centrales électriques, les installations de chauffage ou les véhicules. Dans ce contexte, le recours au nucléaire se présente comme une solution simple, efficace et d'autant plus séduisante qu'elle ne remet pas en cause le mode de développement "énergétivore" de nos sociétés actuelles.

Les sept pays les plus riches du monde, qui comptent parmi eux les pays les plus nucléarisés, ont affirmé leur intérêt pour cette solution dès 1989, lors d'un Sommet du G7: "Nous reconnaissons que l'énergie nucléaire joue un rôle important en réduisant les émissions de gaz à effet de serre." En 20 ans, grâce au nucléaire, l'électricité a réduit de façon considérable ses rejets de polluants (réduction de 70 % des émissions d'oxyde d'azote et dioxyde de soufre durant cette période), ce qui s'est traduit par une diminution globale de la pollution atmosphérique en France (moins 30 % selon le Ministère de l'Environnement).

Le programme électro-nucléaire a permis en 20 ans une réduction de 40 % des émissions de CO2 en France ; actuellement la France présente avec la Suède (dont la production électrique se répartit entre 50 % d'hydroélectricité et 50 % d'électricité nucléaire), et de très loin, le plus faible rejet de CO2 par GWh produit : 78 g CO2 / kWh en France contre 444 en moyenne européenne et plus de 800 au Danemark. Un alignement sur les performances françaises aurait un impact considérable : en effet si les pays de l'OCDE appliquaient la même politique énergétique que la France, la production de CO2 des pays développés diminuerait de 32 % !...

Une bataille de chiffres oppose militants et experts. Pour les militants écologistes, le seul moyen pour l'Europe d'atteindre les objectifs de Kyoto est de construire l'équivalent de 80 % du parc actuel. De son côté, le Forum atomique européen (Foratom), qui regroupe les opérateurs de l'industrie nucléaire européenne, affirme que "en une année, le nucléaire permet d'éviter le rejet de 1,8 milliard de tonnes de CO2 dans le monde, ce qui, pour l'Europe, équivaut aux émissions de 200 millions de voitures." Quant à l'OCDE, son Agence de l'énergie nucléaire publiait en 1999 un rapport s'appuyant sur l'hypothèse d'un triplement de la capacité nucléaire installée d'ici à 2050, ce qui, selon ses calculs, éviterait alors le rejet dans l'atmosphère de 6,3 milliards de tonnes de CO2 par an.

Ces scénarios de relance très volontariste du nucléaire se heurtent aussi - et surtout - à l'opposition croissante des opinions publiques, inquiètes des difficultés à maîtriser la gestion des déchets radioactifs et choquées par la catastrophe de Tchernobyl. De fait, presque tous les pays développés ont gelé leurs programmes. En l'an 2000, aucun réacteur n'était en construction, ni même commandé ou planifié en Amérique du Nord ou en Europe de l'Ouest. Aujourd'hui, le nucléaire n'a de partisans qu'en Asie (notamment au Japon, en Corée et à un moindre degré en Chine et en Inde) et dans les pays de l'Est. Fin 1999, l'Agence internationale de l'énergie nucléaire, basée à Vienne, recensait 38 réacteurs en projet ou en construction dans 14 pays, mais une analyse plus fine montre que nombres d'entre eux ont peu de chance de fonctionner un jour, ne serait-ce qu'à cause des problèmes économiques auxquels sont confrontés les pays commanditaires.

La progression de son parc d'éoliennes permet aujourd'hui à l'Allemagne de produire une quantité d'électricité équivalant à quatre réacteurs nucléaires. Selon le consultant danois BTM-Consult, cette source d'énergie pourrait rapidement fournir plus de 10 % de l'électricité mondiale, soit la moitié de l'offre du nucléaire actuelle. Le débat n'a pas fini d'échauffer les esprits.

Enfin, les anti-nucléaires viennent de lever un nouveau lièvre. Mycle Schneider, qui dirige une agence d'information spécialisée dans l'énergie et l'environnement (World Information Service on Energy), souligne d'abord que les émissions de CO2 de la filière nucléaire sont loin d'être négligeables si l'on ne prend pas en compte les seules centrales mais la chaîne entière du nucléaire : la construction, l'extraction, le traitement, la conversion, le transport, le retraitement et le stockage des déchets.

Il chiffre ainsi, pour la France, pays "hyper-nucléarisé", la part des émissions de la filière atomique dans une fourchette comprise entre 1,6 et 9,1 % des émissions totales, selon les études. Surtout, il souligne que le nucléaire ne produit que de l'électricité alors que nos sociétés ont aussi un notable besoin énergétique de chaleur. Dès lors, les émissions de la combinaison nucléaire plus source de chaleur seraient supérieures à celles obtenues avec les centrales au gaz les plus performantes.

Pourtant, actuellement, la France est jusqu'à présent la seule exception en terme de faible rejet de CO2 parmi les pays nucléaires ; c'est également le pays qui possède la plus grande part de nucléaire au monde, après la Lituanie. La France exploite 59 réacteurs qui produisent 75 % de l'électricité, alors que le nucléaire ne représente que 55 % de la capacité installée. Se pose donc à juste titre la question de savoir si une politique alliant le nucléaire et l'efficacité énergétique est une alternative possible sur le long terme, et si elle est rentable.

Mais depuis l'été 2003 caniculaire, un nouvel argument est apparu aux anti-nucléaires. Une chaleur durable dans le temps peut empêcher le bon fonctionnement des réacteurs. En effet, les centrales utilisent l'eau des fleuves pour refroidir le réacteur. Lors de canicule, l'eau des rivières est déjà chaudes et sa chaleur est accrue lors de son passage dans la centrale et devient dangereuse pour l'environnement lors de sa sortie. Or, on sait que nous vvons un réchauffement climatique. Il apparaît clairement que ce genre de situation se renouvelera dans l'avenir. Le choix de l'approvisionnement en énergie apparaît complexe. Chaque type de production a ses atouts et ses inconvénients. La bataille entre militants et experts ne fait que commencer...

Demesmaeker Tony