Sous-section II : Distinction entre
Police Administrative Générale (PAG) et les Polices Administratives
Spéciales (PAS)
Paragraphe I : La PAG
Nous l'avons vu, elle ne peut être
exercée que pour le maintien de l'ordre public. Il faut donc définir
l'ordre public pour voir les cas où la PAG peut intervenir. Il n'y a
pas de définition théorique de l'ordre public, on le définit
par référence aux rubrique constituant la police municipale.
Dans un 1er Etat du Droit la Police Municipale était définie par
l'article 97 de la loi du 5/04/1884. Cet article disposait que la Police Municipale
a pour objet la sûreté, la sécurité et la salubrité
publique. La Police Municipale est aujourd'hui définie par l'article
L 2212-2 du CGCT en vertu de cet article, la Police Municipale a pour objet
d'assurer le bon ordre, la sûreté la sécurité et
la salubrité publique.
Ces dispositions ont une portée générale et elles déterminent
le pouvoir de l'autorité de Police Administrative quelle qu'elle soit.
Chacun des éléments de la définition a un contenu précis
:
- La sûreté a pour objet de prévenir les dangers et les
désordres qui menacent les collectivités et les particuliers dans
l'exercice des libertés.
- La sécurité a pour objet de prévenir les risques d'accidents.
- La salubrité tend à prévenir les risques de maladie par
la préservation de l'hygiène et de la santé publique.
- Cette liste n'est pas limitative, l'ordre public englobe aussi la tranquillité
publique qui tend à prévenir les nuisances sonores et les tapages
alors que cette notion n'est pas dans l'article.
Ces différentes rubriques ont vu leur contenu évoluer depuis la loi de 1884, ces différentes notions ont évolué avec les changements de société et les besoins de régulation de la vie en collectivité. Ainsi il suffit d'évoquer les multiples règlements en matière de circulation automobile pour prendre l'ampleur du phénomène.
De fait aujourd'hui on retient une conception
plus dynamique de l'ordre public, ce n'est pas que l'absence de troubles, il
implique la mise en place d'un ordre social harmonieux afin de préserver
des conditions de vies préservées des dangers.
Ex : la salubrité publique ne se limite plus à l'hygiène
publique, elle englobe plus largement les préoccupations de santé
publique. Ces préoccupations ont été englobées dans
le concept général de bon ordre, la sécurité, la
sûreté, la salubrité concourent au bon ordre mais le bon
ordre est plus large, la notion a une signification propre, toutefois la notion
de bon ordre n'est pas sans limites.
Pour le définir on se réfère à la définition
du doyen Hauriou " L'ordre public au sens de la police est l'ordre naturel
et extérieur considéré comme un état de fait opposé
au désordre, l'état de paix opposé à l'état
de trouble ".
L'ordre public reste limité aux rubriques classiques, ainsi il a été jugé que des considérations tenant à la morale, à l'esthétique ou à l'intérêt de l'économie n'entrent pas dans la notion d'ordre public. La morale n'est pas un élément de l'ordre public, elle relève de la conscience individuelle de chacun. La notion d'ordre public intègre en revanche la considération de la moralité publique. La moralité publique a pu être définie comme l'absence d'atteinte publique au minimum d'idée morale admise à une époque donnée par la moyenne des individus et qu'elle tient voir respecter. A cet égard les autorités de police administrative peuvent prescrire la fermeture de lieux de débauche portant atteinte à la moralité publique C.E. 30/12/1960 Jauffret.
Sur le plan conceptuel on voit ce qui relève
de la morale (subjectif) et de la moralité (comportement public). En
revanche dans les faits la distinction n'est pas aisée. Ex : la jurisprudence
sur les pouvoirs municipaux d'interdiction des films. Dans quelle mesure le
maire peut-il utiliser ses pouvoirs de police pour interdire la projection d'un
film sur sa commune ? En principe le caractère immoral ne permet pas
au maire d'en interdire la projection. En revanche le Maire a la possibilité
d'interdire un film qui porterait atteinte à la moralité publique,
même si le film a reçu le visa ministériel d'exploitation.
La jurisprudence reconnaît un pouvoir d'interdiction dans deux cas :
- Si le désordre moral risque d'entraîner un désordre matériel
(manifestations, violences). Dans cette hypothèse le maire peut interdire
s'il y a un risque de troubles matériels sérieux : C.E. 19/04/1963
Ville de Dijon.
- Lorsque la projection du film est de nature à préjudicier à
l'ordre public en raison du caractère immoral du film et de circonstances
locales particulières. C.E. 18/12/1959 Société les Films
Lutetia. Le Maire de Nice avait interdit la projection d'un film. Cette jurisprudence
a été confirmée par d'autres arrêts C.E. 26/07/1985
Ville d'Aix en Provence.
Dans ces différentes hypothèses
l'interdiction n'est légale que si elle est fondée par l'immoralité
du film et des circonstances locales propres à la commune. L'autorité
de police ne peut en effet se fonder sur une conception générale
de la moralité publique, elle peut seulement invoquer une atteinte particulière
à la moralité publique en raison du temps et du lieu. Ces circonstances
peuvent tenir à la composition de la population, aux protestations de
divers milieux ou aux traditions locales et l'histoire de la ville.
L'autorité administrative ne peut pas user de ses pouvoirs de PAG en
vue de préoccupations esthétiques. Ex : le Maire ne peut pas réglementer
la construction des monuments funéraires dans un seul but esthétique.
C.E. 18/02/1972 Chambre Syndicale des Industries Artisanales du Bâtiment
de Haute Garonne. Le Maire ne peut pas utiliser ses pouvoirs de PAG pour établir
un nouvel ordre économique dans la commune : C.E. 8/12/1948 Syndicat
Général des Patrons Laitiers de la Ville de Lyon.
Toutefois dans la période contemporaine
la notion d'ordre public a connu un double élargissement qui s'est manifesté
lorsque est en cause l'intégrité ou la dignité de la personne
humaine.
- La jurisprudence a admis que certaines considérations étrangères
par elles mêmes à l'ordre public général peuvent
être combinées avec celui-ci.
· Ex : réglementation imposant aux automobilistes le port de la
ceinture de sécurité. Normalement on prévient les comportements
dangereux pour autrui, ici le comportement est dangereux pou soi-même.
L'ordre public intègre-t-il les comportements dangereux pour soi ? Le
C.E. a jugé que l'obligation du port de la ceinture de sécurité
a été légalement institué car il a pour objet de
réduire les conséquences des accidents de la route : C.E. 4/06/1975
Bouvet de la Maisonneuve.
· Ex 2 : Le C.E. dans le même sens a jugé que le Gouvernement
peut légalement prendre des arrêtés limitant la vitesse
pour éviter les accidents et réduire la consommation d'essence.
C.E. 25/07/1975 Chaigneau.
- Dans un deuxième temps la jurisprudence a étendu le concept d'ordre public. Le CE. A jugé que le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l'ordre public et que l'autorité investie du pouvoir de police Municipale peut même en l'absence de circonstances locales particulières interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la personne humaine.
Cette solution résulte de deux arrêts
du C.E. 27/10/1995 Commune de Morsang sur Orges et Ville d'Aix en provence.
Il s'agissait en l'espèce de trancher la légalité d'arrêts
municipaux interdisant le lancer de nain. On portait atteinte à la dignité
humaine…
Un nain a contesté ces arrêtés, la juridiction administrative
est saisie. Dans un premier temps le TA de Versailles le 25/02/1992 Société
Fun Production applique la solution retenue pour l'interdiction de la projection
de films en se basant sur les circonstances locales particulières. Le
C.E. innove en jugeant que par son objet même un tel spectacle porte atteint
à la dignité de la personne humaine composante de l'ordre public.
Avec cette solution la notion d'ordre public change de contenu, jusqu'alors
c'était une notion objective, extérieure fondée sur les
circonstances ; avec cette jurisprudence la notion devient en quelque sorte
absolue ; toute considération des circonstances étant exclu. L'ordre
public repose sur une conception subjective de l'homme. Il n'est pas sûr
que cette jurisprudence doit être approuvée, même si le C.E.
était animé des meilleures intentions cette solution permet à
la police d'agir en fonction de son intime conviction, de ce qu'elle considère
attentatoire à la dignité de l'Homme, or chacun a sa conception
de cette dignité.
Ex : on pourrait ainsi interdire la prostitution, le port du voile Islamique…
Il pourrait y avoir des dangers pour les libertés individuelles R. Chapus
" S'il est bien que les juges facent de la morale, il est bien qu'ils en
fassent le moins possible ". Il serait bien d'en rester à la conception
objective.
Paragraphe II : Les Polices Administratives Spéciales
A côté de la PAG il y a de
très nombreuses PAS, ces polices se distinguent de la PAG à un
double point de vue, il existe une première catégorie de polices
spéciales poursuivant des buts similaires à ceux de la PAG mais
qui sont soumises à un régime juridique particulier.
Ex 1 : La police des édifices menaçant en ruines. Cette police
appartient au Maire et elle est régie par l'article L 511-1 du Code de
la construction et de l'habitation. Lorsqu'un immeuble menace ruine, cette police
permet au Maire de prendre un arrêté de péril permettant
d'ordonner la démolition de l'immeuble ou des travaux. Cette police obéit
par conséquent à un régime juridique particulier.
Ex 2 : la police des installations classées en raison de leur caractère dangereux, incommode ou insalubre. Cette police de la loi du 19/07/1970 appartient au Préfet. Elle prévoit la nécessité d'une autorité d'ouverture et d'exploitation de ces installations (en vertu de cette réglementation la création d'une porcherie est soumise à autorisation préfectorale).
Ex 3 : La police des chemins de fer, cette police a le même but que la police général : assurer la sûreté, la sécurité, la salubrité dans les trains et les gares. Cette police n'appartient pas au maire mais au Ministre des Transports et au Préfet.
Il y a ensuite une deuxième catégorie qui a une finalité différente de celle de la PAG : il s'agit alors d'assurer la préservation de valeurs qui n'entrent pas dans la définition de l'ordre public général.
Ex : La préservation de l'esthétique
fait l'objet de nombreuses PAS mais aussi la conservation des sites et monuments,
la publication et l'affichage, les enseignes et les pré enseignes, la
police du cinéma qui donne lieu aux visas d'exploitation, la police de
la chasse et de la pêche, des publications étrangères, des
publications des mineurs.
Ces différentes polices sont régies par des textes spécifiques
et appartiennent à des autorités différentes. Il peut s'agir
des autorités détentrices de la PAG, par exemple : le préfet
qui est autorité de PAG dans le département détient une
multitude de PA (plus de 1000) police de la chasse ou de la pêche, police
des étrangers, des manifestations, des gares et aérodromes (taxis
à l'aéroport).
De nombreuses PAS appartiennent à
des autorités qui n'ont pas la qualité de PAG. Le Gouvernement
en tant qu'organe collectif exerce la police des associations constituées
sous forme de milices privées ou de groupes de combats.
A côté les ministères qui n'ont pas le pouvoir réglementaire
ni la PAG peuvent exercer des PAS en vertu d'habilitations législatives
spéciales. Ex : Le Ministre de la culture a la police du cinéma.
Le Ministre de l'intérieur partage avec le Préfet la police des
étrangers, la police des publications étrangères.