Sous-section II : Les mesures de Police

Parce qu'elle est de nature à porter atteinte à l'exercice des libertés la police administrative est soumise à des conditions d'exercice particulières. En premier lieu l'autorité de police peut avoir l'obligation de prendre les mesures nécessaires, ces mesures sont soumises à des conditions de légalité particulière.

Paragraphe I : L'obligation de prendre les mesures de police

Cette obligation existe dans deux hypothèses :
- L'autorité compétente est tenue de prendre les mesures nécessaires pour l'application des règlements de police. Cela concerne à la fois les règlements qu'elle a édictés et les règlements édictés par les autorités supérieures. Cette obligation a été consacrée par C.E. 14/12/1962 Doublet : En l'espèce le C.E. a jugé que le Préfet a l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour l'application de la réglementation sur le camping. En la matière l'abstention de l'autorité de police engage la responsabilité de la collectivité au nom de laquelle elle agit : C.E. 25 Septembre 1987 Commune de Lege Cap-Ferret.

L'autorité de police peut avoir l'obligation d'édicter les mesures nécessitées par les circonstances lorsqu'elles sont de nature à troubler l'ordre public. Face à un risque de trouble à l'ordre public l'autorité de police doit prendre les mesures nécessaires. L'autorité de police a l'obligation de prendre les règlements nécessités par les circonstances : C.E. 23 Octobre 1959 Doublet. Elle a de la même manière l'obligation de prendre les mesures individuelles C.E. 1/06/1973 Ambrigot. Toutefois cette obligation n'existe que si trois conditions cumulatives sont remplies :
- La mesure de police doit être indispensable.
- Elle doit avoir pour objet de faire cesser un péril grave.
- Ce péril doit résulter d'une situation particulièrement dangereuse pour l'ordre public.

Dès lors que ces conditions sont remplies, l'inaction ou la carence de l'autorité de police engage sa responsabilité dans la mesure où son abstention est illégale. Le C.E. a jugé la commune responsable du fait du refus du maire d'édicter les mesures nécessitées par le caractère dangereux d'une piste de ski, C.E. 22/12/1971 Commune de Mont de Lans.

De même pour l'absence de mesures nécessaires à la sécurité des baignades C.E. 13/05/1983 Dame Lefevre. Les exigences du maintien de l'ordre public peuvent justifier l'inertie de l'autorité de police. Cela signifie que paradoxalement l'autorité de police peut invoquer des risques de troubles à l'ordre public ou des désordres pour refuser d'utiliser ses compétences.

Ainsi alors que l'autorité de police est normalement tenue d'agir elle peut dans certaines conditions s'abstenir légalement. Cette possibilité lui est ouverte dans deux hypothèses :
- L'administration peut refuser le concours de la force publique pour assurer l'exécution des décisions de justice alors qu'elle est normalement tenue de pourvoir à cette exécution. Toutes les décisions de justice sont recouvertes de la formule exécutoire.

- L'administration peut invoquer un risque de troubles plus graves que ceux prévus lors du jugement pour refuser d'intervenir C.E. 30/11/1923 Couiteas confirmé par 3/06/1938 La Cartonnerie et Imprimerie Saint Charles.

Selon le considérant de principe l'autorité administrative a le devoir d'apprécier les conditions de
l'exécution des décisions de justice et le droit de refuser le concours de la force publique tant qu'elle estime qu'il y a danger pour l'ordre et la sécurité. L'administration doit donc établir que l'exécution du jugement serait de nature à entraîner des troubles graves à l'ordre public au sens d'ordre dans la rue. Si c'est le cas son abstention est légale, si les risques ne sont pas tels qu'ils justifient l'abstention celle-ci est illégale et engage la responsabilité de l'autorité de police sur le terrain de la faute.
Il y a eu une large jurisprudence en matière :
- D'expulsion de locataires. Lorsqu'un propriétaire veut faire expulser son locataire (pour défaut de paiement ou autre…) il doit s'adresser au TI ou TGI pour obtenir une ordonnance puis s'adresser au Préfet pour obtenir le concours des forces de police. Fréquemment le Préfet refuse s'il peut y avoir des troubles importants C.E. 3/11/1967 Ministre de l'Intérieur c/ Dame Fiat.
- D'expulsion d'ouvriers grévistes occupant les lieux de travail, l'autorité de Police peut préférer laisser faire pour éviter des désordres importants. Le C.E. a condamné l'Etat à des dommages et intérêts forts dans certains cas (C.E. 6/05/1991 Société des Automobile Citroën : l'Etat a ici dû payer 40 Millions de Francs).

Cette jurisprudence C.E. est partagée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 29/07/1998 il a rappelé que toute décision de justice est exécutoire et que la force publique doit prêter son concours à l'exécution si nécessaire, il ajoute que l'administration peut ne pas aider " dans des circonstances exceptionnelles tenant à la sauvegarde de l'ordre public ".

Toutefois on peut se demander si la jurisprudence Couiteas est conforme à l'arrêt de la C.E.D.H du 19/03/1997 Hornsby c/ Grèce (ici la C.E.D.H a jugé que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité implique l'obligation pour l'administration de se plier aux décisions de justice). Si l'administration a un délai raisonnable pour exécuter elle ne peut invoquer aucune raison pour échapper à son obligation d'exécution. Le respect de l'Etat de droit qui implique l'exécution des décisions de justice prévaut sur les circonstances.
On peut avoir des doutes sur la conventionalité de l'arrêt Couiteas du C.E., l'arrêt Hornsby le remet en cause. Cette analyse est partagée par la section du rapport et des études du C.E. mais celle ci a fait valoir que l'Etat peut préférer s'abstenir d'agir fusse au prix d'une lourde indemnisation (l'Etat a le monopole de la contrainte et de la force publique, on ne peut pas le contraindre).

Deuxième hypothèse : L'administration peut aussi s'abstenir d'user de ses pouvoirs de police en cas de troubles alors même qu'elle pourrait disposer de forces suffisantes pour rétablir l'ordre. Il y a un désordre dans la rue et l'autorité de police s'abstient d'intervenir pour éviter l'accroissement du désordre, elle peut invoquer les difficultés ou les risques pour la sécurité des biens et personnes. Cette jurisprudence s'applique en cas d'occupation sans titre du domaine public par des manifestants ou grévistes (ex : barrage portuaire). C.E. 27/05/1977 SA Victor Delforge.

Il a été jugé dans ce cadre que les risques de troubles à l'ordre public peuvent justifier des mesures d'interdiction ou de fermeture du domaine public. Ex : il y a quelques années les viticulteurs détruisait tout le vin venant de l'étranger donc le Préfet interdisait aux navires transportant du Vin d'accoster. C.E. 7/12/1979 Société les fils de Henri Ramel. Dans cette hypothèse lorsque les circonstances justifient l'inertie des forces de police celle-ci ne constitue pas une carence systématique constitutive d'une faute engageant la responsabilité de l'Etat.
Comme il serait injuste de laisser à la charge des victimes les montants des dégradations la
jurisprudence engage la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques. Si la victime peut se prévaloir d'un préjudice anormal et spécial elle a droit à réparation.

Dans ces différentes hypothèses l'obligation de prendre les mesures de police cède devant les exigences de l'ordre public. L'ordre public qui impose en principe à l'autorité de police d'agir peut aussi justifier à contrario légalement qu'elle n'intervienne pas pour réprimer les désordres (c'est ce qui rend l'appréciation difficile). L'ordre public est une notion unilatérale fonctionnelle appréciée en fonction des circonstances de l'objet qui est le sien.

Paragraphe II : Les conditions de légalité des mesures de police

Les actes de l'autorité de police sont soumis aux conditions normales de légalité des actes administratifs, ils doivent être pris dans le respect des règles de forme et de compétence (motivation et procédure contradictoire pour les actes individuels). Sur le plan de la légalité interne ces actes doivent respecter les règles de fond : hiérarchie des normes et PGD (égalité des citoyens devant la loi…) ce qui fait l'originalité de ces mesures c'est qu'elle sont soumises à des conditions particulières supplémentaires car elles peuvent porter atteinte à l'exercice des libertés publiques et individuelles (aller et venir, manifester, expression…). Il en résulte que le contrôle ainsi exercée par le juge sur les mesures est particulièrement étroit : ainsi pour être légal la mesure de police doit être conforme au droit au triple point de vue de son but, son objet et ses motifs.

- Le but : la mesure de police n'est légale que si elle vise à assurer l'ordre public, toute mesure prise dans un autre but est entaché de détournement de pouvoir même si ce but est d'intérêt général. Ex : une mesure de police prise dans un but financier ou par volonté de brimade des administrés est illégale. Même chose d'il y a un intérêt général mais qu'il ne vise pas au maintien de l'ordre public. Ex : risque d'atteinte aux relations internationales de la France. C.E. 12/11/1997 Association de la Communauté Tibétaine en France.
- La mesure de police doit reposer sur des motifs légaux. La mesure de police n'est légale que s'il y a menace réelle de désordre, l'autorité de police ne peut pas établir des mesures de police non justifiées par les circonstances. Ex : C.E. 14/03/1979 Auclair.
- Enfin et en troisième lieu le Juge Administratif va contrôler l'objet même de la mesure de police et son adéquation au motif de la mesure. Le juge administratif contrôle si la mesure était appropriée aux risques de troubles qu'elle devait prévenir. Si la menace de police est disproportionnée aux risques de troubles elle est illégale. Cette jurisprudence trouve son origine dans l'arrêt C.E. 19/05/1933 Benjamin.

C'est donc un contrôle de proportionnalité que le juge va exercer sur la mesure de police. Celle-ci
ne peut prendre que les mesures adéquates et nécessitées par les circonstances C.E. 21/02/1986 Commune d'Agde. Le juge met à la charge de l'autorité de police l'obligation d'ajuster sa mesure à la gravité du trouble. La mesure est donc légale chaque fois qu'elle est nécessaire et ne fait pas peser sur les administrés des contraintes excessives par rapport à ce qu'exige le maintien de l'ordre. Il résulte que le plus souvent les interdictions générales et absolues sont illégales C.E. 22/06/1951 Fédération Nationale des Photographes Fimeurs. Cela ne signifie pas qu'une interdiction générale et absolue est par nature illégale elle ne l'est que si elle n'est pas justifiée par les circonstances.

Ce qui est illégal c'est la portée excessive de la mesure par rapport aux circonstances de temps et de lieux. C'est une jurisprudence qui a trouvé une application fréquente à l'occasion de l'édiction par les Maires des arrêtés " anti-mendicité " les Maires interdisaient les formes agressives de mendicité et l'occupation abusive de l'espace public. Sous Napoléon la mendicité était un délit.
Chaque fois que l'arrêté a répondu aux exigences il a été jugé légal en revanche quand les Maires ont interdit sur de grands espaces pendant longtemps cela a été jugé excessif et illégal. Ex : T.A. de Pau 22/11/1995 Couveinhes et Association Sortir du Fond. Idem : pour la divagation des mineurs la nuit.

Il faut apprécier la mesure de police en fonction des faits (c'est dur) où est la frontière entre ce qui est légal et permis et ce qui est dangereux ? Hormis les cas où elle y est habilitée par la loi l'autorité de police ne peut pas subordonner l'exercice d'activités privées industrielles et commerciales à la délivrance d'autorisations individuelles. Une mesure d'autorisation préalable non prévue par la loi porte atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie et est donc entachée d'illégalité : C.E. Assemblée 22/06/1951 Daudignac.

Le juge va donc vérifier l'adéquation de la mesure de police à ces motifs, ce n'est pas pour autant un contrôle de l'opportunité. L'adéquation constitue un élément de légalité de la mesure de police, le pouvoir de police est liée par cette obligation de proportionnalité. Ce contrôle permet au juge d'assurer le respect du principe selon lequel " en matière de police la liberté est la règle et la restriction l'exception " : Commissaire du Gouvernement Corneille dans l'arrêt C.E. 10/08/1917 Baldy.