Sous-section I : La définition de service public

Il n'existe pas de définition légale du service public, c'est à la doctrine et à la jurisprudence qu'il est revenu de préciser la notion, l'expression même peut être entendue dans deux sens différent :
- Dans le sens organique c'est la structure chargée d'exécuter une mission de service public, dans ce sens on dira que : La Poste, les hôpitaux ou l'éducation nationale sont des services publics.
- Dans le sens matériel : la formule de service public désigne l'activité d'intérêt général, dans ce sens la distribution du courrier, les soins, l'enseignement seront des services publics.

Ces deux sens ne s'excluent pas, le plus souvent ils se recouvrent, une activité de service public est assurée par un service public (courrier à La Poste …).

Ces deux concepts ne se recouvrent néanmoins pas nécessairement. Il n'y a aucun automatisme, aucune obligation. Certaines activités de SP ne sont pas assurées par des SP organiques mais par des personnes privées. Ex : les activités sportives sont assurées par les fédérations sportives pour le compte de l'Etat (fédération sous forme de loi 1901). C'est la loi sur le sport qui délègue aux associations la mission d'assurer le Service Public du sport.

L'étude du SP comme organisme relève du cors d'organisation administrative en revanche il nous revient de préciser la notion de SP comme activité matérielle.

Cette étude du SP comme activité matérielle permet de dégager une importante évolution, en effet l'origine l'activité de SP était assurée par l'administration. Il y avait donc une coïncidence entre critère organique et matériel. Toutes les activités de SP étaient assurées par des personnes publiques et à l'inverse toutes les activités administratives des personnes publiques étaient des activités de SP. Cette coïncidence était le caractère de l'Etat libéral, en effet sous cette forme l'Etat se limite à l'exercice d'activités régaliennes (réglementation, justice, défense, diplomatie…) et à l'exécution de fonctions sociales (assistance, enseignement, Travaux Publics).

Avec le développement d'activités d'intérêt général confiées à des personnes privées le critère organique et le critère matériel se sont trouvés dissociés. En effet on s'est trouvé en présence d'activité de SP assurées par d'autres que les administrations publiques. Dès lors l'élément matériel est devenu déterminant par rapport au critère organique et aujourd'hui la définition ne repose plus que sur le critère matériel. Selon la définition de Chapus on peut dire que le SP est une activité assurée ou assumée par une personne publique en vue d'un intérêt public. Cette définition est fondée sur la jurisprudence du TC et C.E.

En effet c'est le C.E. dans les années 30 qui a consacré la dissociation entre le critère organique et matériel, cette dissociation a été amorcée par l'arrêt du 20/12/1935 Vezia. Dans cet arrêt le C.E. a jugé que les sociétés de prévoyance instituées dans les colonies et constituées sous une forme de droit privé remplissaient une mission de SP justifiant la détention de prérogatives de droit public, mais c'est surtout l'arrêt du 13/05/1938 CPAP qui va consacrer définitivement la définition matérielle du SP. L'arrêt juge en effet expressément que les caisses primaires de sécurité sociale personne morale de droit privé ont une mission de SP.

Le fait que des personnes privées participent à l'exécution du SP n'était pas nouveau, en effet depuis le XIXème des particuliers avaient des missions de SP par voie de concession à partir d'une délégation contractuelle de puissance publique : 6/02/1903 Terrier et 4/3/1910 Thérond.
Dans ce cadre le concessionnaire était censé agir pour le compte de l'administration, celle ci se substituait donc une personne privée agissant pour son compte sous son contrôle, l'apport de l'arrêt CPAP réside dans la reconnaissance de SP assurée par des personnes privées sans délégation contractuelle.

Par conséquent le SP n'implique plus la prise en charge de l'activité par l'administration il suffit que la personne privée assure la mission de SP qui lui est confiée sous le contrôle de l'administration d'où la justification et l'importance des deux verbes de la définition " assurée (par elle même) ou assumée (sous son contrôle) ". Le SP peut être assurée par une personne privée sous le contrôle de la puissance publique.

La solution de l'arrêt CPAP a été confirmée pas la jurisprudence et le juge a reconnu la qualité de gestionnaires de service public à de nombreuses personnes de droit privé :
- Les comités d'organisation C.E. 31/07/1942 Monpeurt.
- Les ordres professionnels 2/04/1943 Bouguen.
- Les groupements de défense contre les ennemis des cultures 13/01/1961 Magnier.
- Les organismes d'intervention économique 6/10/1961 Fédération Nationale des Huileries Métropolitaines.
- Centres régionaux de lutte contre le cancer TC 20/11/1961 Centre Régional de lutte contre le cancer Eugène Marquis.

A partir du moment où le SP se définit exclusivement comme une activité la question se pose de savoir quelle activité peut être un SP. La définition est largement tautologique et empirique, une activité est un SP quand elle constitue une activité d'intérêt général que les pouvoirs publics ont entendu ériger en SP. L'élément essentiel du SP est donc à la fois le but d'intérêt général et la volonté de la puissance publique de prendre en charge la mission.

Cela apparaît déjà dans l'arrêt Thérond du 4/3/1910 " considérant que la ville a agi […] et a eu pour but d'assurer un SP ".

TC 22/01/1955 Naliato : arrêt relatif aux colonies de vacances " le but d'intérêt général que visent les collectivités administratives …. SP ". Ainsi c'est à l'administration qu'il revient d'apprécier su tel ou tel besoin d'intérêt général doit lieu à la création de SP. C'est donc l'intention des gouvernants qui va transformer une activité d'intérêt général en SP. Ex : la Croix Rouge est une activité d'intérêt général mais pas un SP.

Ce critère de l'intention des gouvernants est aussi utilisé par le Conseil Constitutionnel dans sa décision des 25 et 26 /06/1986 sur la loi autorisant le Gouvernement à prendre différentes mesures d'ordre économique et sociales.
Dans cette décision le Conseil Constitutionnel juge que si la nécessité de certains services nationaux découle de certaines règles ou principes constitutionnels la détermination des autres activités qui doivent être des SP nationaux est laissé à l'appréciation du législateur ou du pouvoir réglementaire selon les cas. La définition du SP présente donc un caractère empirique et pragmatique et cette conception conduit à écarter deux explications :

1) La notion de SP par nature

La notion de SP par nature, c'est une théorie qui a été dégagée par le commissaire du gouvernement Mater dans ses conclusions sur l'arrêt TC 22/01/1921 Bac d'Eloka. Dans ses conclusions il développait l'idée selon laquelle certaines activités relèveraient par nature même de la puissance publique. Cette conception devait être retenu par le tribunal en l'espèce puisque l'exploitation du vas était un service et non un SP. Quelques années plus tard TC 11/07/1933 Dame Melinette le tribunal jugera que le service d'enlèvement des ordures ménagères ne constitue pas une activité des compétences exclusives de la puissance publique.

Si elle a pu avoir une part de vérité à l'origine cette conception a été rendue caduque avec l'extension continue du champ du Service Public. De très nombreuses activités ont été reconnues par la jurisprudence comme constituant des SP dans tous les domaines de la vie nationale. D'abord à côté des SP de caractère administratif le juge a reconnu l'existence de vrais SPIC ex : 23/12/1921 Société Générale d'armement. Il reconnaîtra ensuite l'existence de SP sociaux ex : 1938 CPAP il reconnaîtra l'existence de SP socio culturels.
Ainsi après avoir dans un premier temps refusé de reconnaître un théâtre comme un SP le C.E. va le reconnaître en tant que tel dans sa décision du 27/07/1923 Gheusi.

Le C.E étendra cette solution aux théâtres municipaux C.E. 21/01/1944 Leoni et aux spectacles en plein air : C.E. 12/06/1959 syndicat d'exploitation de cinématographe de l'Oranais. Il a été jugé que l'exploitation d'un palais des festivals et des congrès est une activité de SP TC 19/12/1988 Ville de Cannes. L'organisation par une commune des fêtes traditionnelle avec un lâcher de taureaux est un SP TC 22/04/1985 Lorent ou encore l'organisation d'un festival de Jazz C.E. 2/06/1995 Ville de Nice.

Tout ceci montre bien que la notion de SP n'est pas figée. Ceci fait la jurisprudence a également regardé comme une activité publique la prise en charge d'activités culturelles et touristiques C.E. 11/05/1959 Dauphin mais aussi pour des loisirs et divertissements, en ce sens C.E. 18/12/1936 Prade s'agissant de l'exploitation d'une plage.

Cela a été jugé pour les activités sportives notamment C.E. 2/02/1965 Société du Vélodrome du Parc des Princes. Tout ceci montre que la notion de SP a un caractère contingent et évolutif. On ne peut pas retenir une notion de SP par nature.

2) L'explication du SP virtuel

De même il faut écarter l'application du SP virtuel, c'était une théorie de certains membres du CE après 1945 et notamment le commissaire du gouvernement B. Chenot dans ses conclusions sur C.E. 6/02/1948 Radio Atlantique. Selon cette théorie dès que qu'une activité apparaît d'intérêt général c'est un service public virtuel même s'il n'a pas été érigé par la loi en SP ce qui a pour effet de permettre à l'administration d'imposer aux particuliers qui la gère des obligations de SP, cette conception très extensive du SP ne peut pas être retenue, c'est la volonté seule de la puissance publique qui permet de transformer une activité d'intérêt général en activité de SP.

La définition que l'on a retenu du SP permet cependant d'en circonscrire à peu près le contenu : on peut ainsi dire que toutes les activités directement assurées par les personnes publiques sont des SP à peu de choses près. Toutes les missions d'IG prises en charge directement par les personnes publiques ou déléguées par elles à des personnes privées sont des missions de SP.
Il n'y a en effet que la gestion de leur domaine privé par les personnes publiques qui n'est pas reconnu par la jurisprudence comme une activité de SP C.E. 26 Septembre 1986 Epoux Hebelin.

Dans cette hypothèse la coïncidence du critère organique et du critère matériel permet de conclure à l'existence du SP. La question est beaucoup plus complexe lorsque l'activité d'IG est prise en charge par une personne privée. Les activités des personnes privées sont à priori des activités privées, pour que l'on soit en présence d'un SP il faut que cette activité soit assumée par une personne publique c'est à dire qu'elle ait été déléguée par une personne publique et qu'elle soit déléguée sous son contrôle. Lorsque cette activité est déléguée en vertu d'un contrat ou qu'elle ait assuré par une personne sont le capital appartient à l'Etat il n'y a pas de problème d'identification.

En revanche lorsque l'intention des Gouvernants n'apparaît pas aussi clairement la qualification de SP est plus difficile. Pour ce faire le juge va la dégager à partir de 4 critères qui ont été précisés par l'arrêt Magnier du 13/01/1961 et par l'arrêt Narcy du 28/06/1963.

Ces quatre critères sont les suivants :

- L'institution considérée a-t-elle été crée par l'autorité publique et non l'initiative privée ?
- Son activité est-elle d'intérêt général ?
- La puissance publique exerce-t-elle un contrôle sur le gestionnaire de l'activité sous la forme d'un agrément de personnes ou d'une tutelle sur le fonctionnement ?
- L'organisme détient-il des prérogatives de puissance publique ?

Ces différents critères sont utilisés dans le cadre d'un faisceau d'indices, c'est leur combinaison qui va permettre de reconnaître le SP. Aucun de ces critères n'est à lui seul déterminant, mais certains d'entre eux sont plus importants que d'autres ainsi l'existence d'une mission d'intérêt général est une question essentielle. Sans reconnaissance d'un intérêt général il ne saurait y avoir de SP.

L'évolution de la jurisprudence montre la tendance du juge à admettre de plus en plus largement l'existence d'un intérêt général mais toutes les activités exercées sous le contrôle de la puissance publique ne présentent pas ce caractère, il a été jugé par exemple que le sociétés de course chargées de l'organisation des courses hippiques et des paris sous le contrôle de l'Etat n'ont pas une mission de SP en raison de l'absence d'un IG suffisant C.E. 9/02/1979 Société d'encouragement pour l'amélioration des races de chevaux en France.
Dans le même sens le C.E. a jugé que la mission attribuée par les textes à la société La Française des Jeux n'est pas une mission de SP dès lors que les jeux de hasard n'ont pas le caractère d'IG. CE 27 Octobre 1999 M. Rolin.

Il faut aussi que l'administration exerce un contrôle suffisamment étroit sur l'organisme pour que l'activité d'IG soir assumée par la puissance publique. Si ce n'est pas le cas l'activité d'IG reste une activité privée. Ex : la Croix Rouge est un établissement d'utilité publique ou une entreprise privée d'intérêt général.

En revanche il ne paraît pas nécessaire que la personne privée ait des prérogatives de puissance publique pour que son activité soit un SP. Tel est le cas lorsque la loi a elle même prévu la participation de la personne privée à l'exécution du service (TC 6/11/1978 Bernardi) ou quand la personne privée gestionnaire du service apparaît comme un simple prolongement de la personne publique qui la contrôle C.E. 20/07/1990 Ville de Melun. C.E. 10/06/1994 Lacan et association des thermes de la Haute Vallée de l'Aude.

Autrement dit un organisme privé peut être investi d'une mission de SPA même sans prérogatives de puissance publique mais pour que les actes pris par ces organismes soient administratifs il faut qu'ils soient pris pour l'exécution d'une mission de SPA et dans l'exercice de prérogatives de puissance publique. Cela revient à dire que l'exercice de prérogatives de puissance publique n'est pas indispensable pour qualifier un SP mais seulement pour reconnaître à ses actes le caractère d'actes administratifs.