Figures de la sorcellerie languedocienne

Marie Laure étudie, dans ses analyses sociologique, les "Figures de la sorcellerie languedocienne" de Jean-Pierre Pinies, et plus particulièrement le chapitre ayant attrait aux sorciers languedociens. Le chapitre Le sorcier est le premier chapitre du livre, au total le livre se subdivise en trois chapitres. Dans ce passage de l'ouvrage, l'auteur nous démontre ce qu'est un sorcier, comment il est perçu par ses contemporains, quelles sont ses pratiques et leurs effets sur telle personne ou tel objet. Les sorciers décrits sont languedociens et essentiellement audois et pyrénéens (mais pas exclusivement).

L'auteur nous dépeint le sorcier comme un " acolyte du diable, contemplateur et serviteur du Mal et des entités qui le fascinent ", il est aussi " celui qui a fait un pacte avec le diable à l'effet d'opérer des maléfices " en pratiquant une magie secrète et illicite. Le sorcier est appelé par des noms divers : " maléficus ", enmascaïre, sorcier, fumée …

Le sorcier peut être un homme ou une femme, et sa " création " est le résultat de l'observation d'un comportement ou d'une situation jugé étrange par rapport à l'ordinaire et qui va développer l'imagination autour du " sorcier " et ainsi " déclarer " un être comme sorcier. N'importe qui peut être soupçonné de sorcellerie, ensuite la rumeur joue son rôle. Toutefois les éléments ci-dessus ne sont pas les seuls pris en compte pour faire de quelqu'un un " suppôt de Satan " ; la vieillesse, la laideur, le manque de sociabilité, l'infirmité…accentuent la présomption de sorcellerie. Mais il est des gestes et des actes qui, selon les personnes interrogées, qui prouvent bien qu'une personne est empreinte de sorcellerie.

Cependant, il faut différencier ceux qui subissent la rumeur, et ceux qui s'assument en tant que sorcier allant parfois jusqu'à le revendiquer " assumant jalousie et haine du monde ". Les sorciers sont censés avoir tous les défauts, on compte parmi eux : homosexuels, curés, mendiants, prostituées ou trafiquants. De même, certains métiers semblent être plus enclin à attirer les sorciers (tailleur, maréchal ferrant, berger, bûcheron…) en général se sont des métiers qui ont des horaires décalés par rapport à ceux des agriculteurs. Les femmes sont le plus pressenties pour exercer ce type de magie, les minorités sociales sont aussi souvent visées. Le personnage du sorcier est associé à des attributs qu'il faut étudier par rapport à l'histoire des représentations " d'objet " réel ou à caractère surnaturel, par exemple, le jour de naissance indique une prédisposition à la sorcellerie (entre autres la Toussaint).

Il existe 4 types de rapport entre le sorcier et le diable (tentation directe, tentation indirecte, évocation, conjuration), dans la tradition orale, le diable est perçu comme un " bon vivant " mais dans les légendes, le diable est toujours perdant face à l'Homme. Les autres attributs du sorcier sont : le sabbat (réunion d'esprit maléfique dans un endroit reculé et lugubre), les grimoires et livres de secrets sur lesquels le sorcier fonde son pouvoir (l'écriture de son propre grimoire symbolise la signature du pacte avec le diable) par ailleurs, plus les grimoires contiennent des mots compliqués et plus ils paraissent magiques. L'existence des grimoires remonte au moins à l'Antiquité, les livres de sorcellerie étaient la plupart du temps dans des bibliothèques et peu connus du tout public.

Les livres de sorcellerie sont désignés par le patronyme " Albert " particulièrement en Languedoc occidental. Au XVIIe siècle, les livres sont imprimés et circules grâce au colporteur malgré les interdictions. Lors de l'enquête avoir des renseignements fiables sur l'Albert a été difficile car en parler c'était risqué d'être soupçonné de l'avoir vu, lu, et utilisé. Toutefois, on apprend que l'Albert n'a pas de date de création ou des dates supposées, fantaisistes, qui renforcent l'imaginaire ; que ce livre est censuré par la société et par la religion car il apporte le mal. Celui qui veut également trop connaître la sorcellerie peut potentiellement être utilisé comme vecteurs du mal par le diable (" le savoir appelle le savoir ").

On pensait que le paysan lisait l'Albert pour s'opposer au positivisme inculqué par l'école, le curé (qui avait un rôle ambiguë) devait aussi avoir lu ce livre pour pouvoir combattre le démon, d'ailleurs des pratiques rituelles sont alors inventées pour contrer le maléfice de la lecture de l'Albert (par exemple lire le livre à l'envers). D'autre part il y a un avertissement à la première page de ce livre : " si tu as peur ne dépasse pas cette page ". L'Albert contiendrait " un texte qui rejette les valeurs institutionnelles, étatiques et religieuses ", de plus on pensait que le lecteur était impuissant face au livre, il faut donner sa folie à quelqu'un pour en être guéri, on faisait également appel à un curé qui avait le pouvoir d'exorciser le mal. Le sorcier a lui aussi des pouvoirs grâce entre autre à ce type de livre, il fait des " farces ", donne des maladies, parfois même la mort. Le sorcier provoque plus particulièrement " l'arrêt " du mouvement ou son " accélération " (ce pouvoir est le plus connu), les chutes, il pouvait aussi " contrarier l'ordre et le travail ", il causait le " tarissement du lait ".

Le diable avait la possibilité de se métamorphoser en animal : une bête qui se fait porter ou une bête allongée, un lièvre, un " meneur de loups " une araignée, peuvent être le diable ou le sorcier déguisé, de même les animaux familiers sont utilisés (oie, cheval, vache, chien, chat…). Le curé et l'instituteur étaient aussi accusés d'exécuter de telles transformations. Ces métamorphoses peuvent être effectuées grâce au fait que l'âme et le corps peuvent se séparer l'un de l'autre. Ce dédoublement permet au sorcier de ce déplacer sous l'apparence d'un souffle, sans se faire repérer, ainsi, il peut " maîtriser les éléments " tels que l'eau, les orages, le vent… Sous cette forme, le sorcier peut aussi agir sur l'esprit humain, en causant des pertes de mémoire (oublier son chemin par exemple), plonger quelqu'un dans le sommeil, " nouer l'aiguillette " (empêcher les rapports sexuels). Dans ce domaine le sorcier peut aussi préparer des philtres d'amour.

Parfois, ces agissements " magiques " sont également attribués à un " mort ou à un esprit familier " ; d'ailleurs tous les exemples relatés mettent bien en relief la peur populaire face à ces phénomènes. On connaît peu les techniques et les rituels employés par les sorciers, par conséquent, l'imagination et la tradition populaire ajoute à l'idée de puissance maléfique, d'ailleurs d'autres éléments doivent être pris en compte : le lieu, le jour, l'heure, et trois rites spécifiques : " objectal ", " gestuel ", " oral ". En ce qui concerne les objets utilisés par le sorcier, on trouve tout ce qui pique : épingle, clous de cercueil… et tout ce qui est comestible : plantes, animaux. Certains objets sont même retournés par la population pour paradoxalement se protéger du sorcier.

Le sorcier agit aussi par gestes ou " mauvais coup d'œil ", parfois des formules sont également utilisées (on sait peu sur cette pratique car personne ne veut répéter ces paroles), elles sont en français, et le plus souvent dites avec une voix normale. Les bergers semblaient être les plus adeptes des formules (souvent des détournements de prières catholiques), parfois le sorcier fait appel à des Saints ou à des personnages célèbres pour être aidé.
Toutefois, le sorcier n'est pas immortel, sa mort est très douloureuse " pour expier sur la terre un peu du mal qu'il a fait ". Avant de mourir, le sorcier tente de se séparer des ses pouvoirs en les transmettant (une simple poignée de main peut suffire) ; mais on peut s'emparer des pouvoirs consciemment en piquant le cœur mort du sorcier. Après sa mort, le corps du sorcier est récupéré par le diable " pour lui enlever toute chance de repos ", il est ainsi condamné à une errance perpétuelle.

Selon Jean-Pierre Pinies, " la mort du sorcier clos le discours sur la différence : insaisissable car même son corps échappe aux hommes, nourrissant ainsi un discours fantasmatique, bouc émissaire des angoisses et des peurs, le sorcier est le personnage principal du monde surnaturel, acteur maléfique contre lequel le groupe devra se défendre par d'autres personnages aux fonctions symboliques, et dont les figures sont largement connues de la société traditionnelle ".

Marie Laure